JAI SUPER MAL AU CAILLOU avec EUHNA stp

C'est facile, de s'élever, quand on a des ailes pour s'arracher du sol avec quelques efforts, ou des griffes faites pour grimper aux arbres et se tenir au dessus de leur cime, pour contempler le monde qui s'offre devant nous. pour les autres, on se contente de ce qu'on peut, des constructions humaines quand il y en a, ou alors on reste désespérément les deux pieds rivés dans la boue et les feuilles mortes en enviant les oiseaux et les rongeurs.


Daim se sent terriblement bas, depuis des mois, comme si la Terre s'était rehaussée sans le prévenir, et qu'en quelques toussotements les montagnes avaient toutes redressé le sol. les flaques au sol sont beaucoup plus proches, et pourtant les branches des conifères sont bien trop hautes... il lui faut quelques jours de réflexions, quelques heures en réalité, mais étalées : ce problème se rajoute à bien d'autres. il n'y consacre qu'un bout de son esprit, lorsqu'il marche rêveusement sans se soucier des fougères qu'il piétine, qu'il touille distraitement le ragoût presque prêt dans la marmite ou bien quand il laisse ses pensées tournoyer avant de s'endormir, une fois ses yeux déjà fermés, ...

la solution arrive un beau jour, coincée entre les notes mélodieuses que s'envoient par politesse son Passerouge et d'autres de ses congénères cachés dans les feuillages alentours.


semi nomades et avant tout cavaliers, les siens n'avaient pas manqué de l'installer sur la selle d'un Bourrinos alors qu'il savait encore à peine marcher et se contentait de gazouillis plus ou moins enthousiastes pour communiquer. encore tout jeune, on lui avait rapidement confié la tâche de surveiller les troupeaux familiaux, avec une monture comme seule aide si l'un des pokémons venait à s'échapper, et cette fameuse monture était devenue bien plus qu'une compagnie bienvenue dans les steppes natales. c'était devenu une partie de lui à un point tel qu'il avait la vague impression d'être amputé de quelque chose quand il fallait descendre de la selle et se tenir à nouveau sur ses propres jambes. jugé sur ces bêtes solides, le ciel semble tout de suite plus proche. parfois l'envie de s'élever restait si présente que lorsqu'un jeune disparaissait quelques jours pour revenir avec un léger sourire émerveillé, on savait qu'il était parti à l'assaut de l'une des collines ou des montagnes environnantes pour pouvoir observer de lui même le vaste monde et les points minuscules que représentent ses amis et ses parents au fond de la vallée.


quand Daim avait-il fait une de ces folles escalades pour la dernière fois ? il y a quelques années tout au plus, il se souvient encore être parti au milieu de la journée pour être témoin d'un coucher de soleil qui l'avait fait frissonner des heures.

évidemment, lui qui n'avait pu approcher ni même observer un Bourrinos ou même un Haydaim et avait encore moins envisagé escalader des falaises et des sommets depuis des mois devait se sentir au ras du sol.


ça lui manque, même.

Daim ne se l'explique pas tout à fait car il ne saurait formuler ce besoin avec des mots, mais cette envie de s'élever le prend et ne le lâche plus, pire qu'une brûlure qui refuse de cicatriser. maintenant que l'idée lui a traversé l'esprit une fois, elle s'est installée au fond de son crâne et s'obstine en attendant qu'il veuille bien y prêter attention.


mais ça y est ! fini de se morfondre comme les plantes qui regardent avec jalousie les humains parcourir des kilomètres sur leurs deux pattes !

aujourd'hui,

c'est le jour de l'Ascension.


rien de grandiose, pourtant, pas de Monts illustres ou non en vue. non, simplement une forêt tortueuse qui s'étend dans toutes les directions. il avait fallu plusieurs jours au chasseur, sans compter le temps pour se rendre sur l'île, pour découvrir cette forêt que l'on vantait tant et pour trouver un certain type d'arbre, réputé parmi les plus hauts. il avait fallu des interrogatoires un peu embarrassants avec un certain nombre d'habitants pour localiser "l'Arbre le plus haut de la Forêt, s'il te plait ?".

et le voila enfin, le Plus Grand Arbre. enfin, un grand arbre, était-ce vraiment celui qui dominait la forêt ? une seule façon de le savoir de toute façon : il fallait grimper.


Daim cache son sac entre les racines, le recouvre de feuilles mortes et lorsqu'il est satisfait de son oeuvre, il commence de se hisser sur la première branche en emportant ce qu'il estime le strict nécessaire : un couteau cranté. pas même son pokémon, il demande au petit Passerouge de l'attendre sur la branche ou de s'éloigner s'il le souhaite, mais de ne pas le suivre : le spectacle auquel il a envie d'assister se savoure seul.


les premiers mètres se passent sans encombre : les branches sont proches et épaisses, soutiennent son poids sans même craquer et il remarque à peine les éraflures de l'écorce sur ses mains.

au fil de l'arbre les branches s'espacent et le grimpeur doit commencer de réfléchir et de tester chaque branche pour être sûr qu'elle ne le lâchera pas au moment critique où son corps se suspend entièrement à elle et ses bras le soulève en forçant pour l'aider à atteindre la prochaine.

il a mal évalué l'heure, dans le bois, et se presse pour atteindre la cime avant de rater le soleil.

il fait peu de pauses mais prendre une grande inspiration à chaque fois qu'il doit contracter ses muscles pour porter tout son poids : il est bien vite en nage avant même d'espérer atteindre le sommet, mais il persévère.

il sent les premières douleurs, les premiers muscles endoloris. encore une branche.


il commence à perdre haleine et doit reprendre son souffle. quelques mètres de plus.


il doit encore reprendre son souffle, plus souvent. il faut continuer, interdit de rester sur la même branche.


son cœur, lente bête placide, s'emballe enfin. son pouls trop rapide l'incommode, mais l'afflux d'oxygène aide à atteindre la branche suivante.

surtout, ne pas se concentrer sur la distance qui lui reste, ne pas ralentir, ne pas... le voilà, le sommet.


au moment où le soleil inonde l'Archipel, prêt à se cacher derrière l'horizon mais encore énorme et rougeoyant. si rouge que les nombreux lacs qui reflètent le ciel semblent remplis de sang. l'astre déclinant éclabousse de sa lueur inquiétante le feuillage des arbres, qui devient alors une énorme masse indistincte, compacte tant les troncs se serrent en bas dans la forêt. comme si l'on était coincé entre des nuages écarlates. dessous, bien loin en dessous, les rayons n'arrivent même plus à atteindre le sol de la forêt, qui devient alors un océan sombre et muet. le silence est troublé par de nombreux insectes et autres oiseaux, mais Daim n'entend rien. il se gorge de la vue, s'en abreuve jusqu'à plus soif sans pouvoir penser à rien d'autre qu'un pauvre mot, bien faible face à tout ce qu'il ressent, enfin.


il reste,

encore un peu

jusqu'à ce qu'il ai l'impression d'en avoir trop vu et que des tâches sombres dansent dans ses yeux là où il a tenté de fixer le soleil.


mais on l'attend en bas, il a beau faire la sourde oreille il entend bien les sifflements du pokémon en contrebas. si loin...

c'est dur, de redescendre. toutes les blessures et les douleurs qu'il avait ignoré pour grimper reviennent de plein fouet, l'écorce qui arrache la peau de ses main pourtant calleuses, les muscles de ses jambes qui s'endolorissent à force de serrer les branches et le tronc et les bras qui semblent prêt à lâcher à tout instant. enfin, c'est ridicule, il ne va pas rester là haut ? il faut y aller, de toute façon, il n'a pas le choix, alors il continue tant bien que mal, se laissant retomber lourdement sur les branches sous ses pieds sans re-vérifier si elles supportent toujours son poids.


elles ont tenu à l'aller, elles tiendront bien au retour, non ?


non. il reste moins d'une dizaine de mètres mais la fatigue l'empoisonne, abaisse sa vigilance et une des branches finit bien par craquer sournoisement et s'effondrer sous son poids sans prévenir. à peine le temps de lâcher un juron monstrueux que le CRAC sinistre fasse vibrer ses tympans et qu'il se sente tomber. étonnement, tout devient léger, son corps ne l'alourdit plus,
c'est presque agréable, de ne plus être tenu par rien à part la gravité.

c'est mieux, de ne pas s'éclater au sol, pourtant, et les occasions de se rattraper sont rares alors le grimpeur raté fait ce qu'il peut, parvient à s'accrocher au vol à une branche se tenant à peine plus de 2 mètres au sol, mais amortir une telle chute est visiblement trop lui demander : elle craque aussi, et cette fois, pas le temps de se retenir.

pas le temps de rien, à part de se rendre compte un peu trop tard qu'il est étendu sur le sol, qu'il a sacrément mal et que le grognement bestial qu'il vient d'entendre s'est échappé de ses propres lèvres... la douleur envahit tout, l'aveugle et lui coupe le souffle. ce n'est qu'une fois les poumons à nouveau rempli qu'il peut dire quoi que ce soit, et il ne rate pas l'occasion, dans sa langue natale, trop sonné pour se souvenir de quoi que ce soit d'autre que gueuler, se plaindre et essayer de rester immobile.

fils de CHIENS, DE PUTAINS ET D'INFIRMES ! T'ES NÉ PAR DERRIÈRE !