tu n'en serais pas là si seulement le scientifique que tu assistais avait un peu plus de deux neurones au compteur, mais évidemment, il a fallu que tu te retrouves en équipe avec le dernier des incapables. il passait son temps à s'extasier sur toutes les plantes et les pokémons que vous croisiez sans faire attention où il mettait les pieds - mais ça, encore, tu pouvais le supporter. le fait qu'il disparaisse en te laissant seul au milieu des bois alors que tu ne lui avais tourné le dos que cinq minutes en revanche, ça te reste un peu en travers de la gorge. au final, tu ne sais pas trop s'il lui est arrivé quelque chose ou bien s'il a simplement oublié ta présence en découvrant un spécimen rare de je-ne-sais-quel pokémon. dans tous les cas, le résultat est le même.
sans ce scientifique, et surtout sans la carte qu'il avait avec lui, pas moyen de retrouver ton chemin. et tu n'en peux plus de marcher sans savoir si tu avances vers la sortie des bois ou si tu t'y enfonces toujours plus profondément. tu as besoin d'une pause. laissant échapper un long soupir, tu t'appuies contre le tronc d'un grand mélèze et enlèves tes lunettes pour les nettoyer, quand tout à coup, un bruit te fait relever la tête. est-ce que tu viens d'entendre quelqu'un parler ? non, ça doit être ton imagination. ces bois sont aussi déserts qu'un campus de fac pendant les vacances d'été.
pourtant, la tache de couleur floue que tu aperçois entre deux sapins un peu plus loin ressemble drôlement à un être humain. impossible d'en être sûr sans tes lunettes, alors tu les remets précipitamment, et…
bon sang. tu ne rêves pas. il y a bel et bien quelqu'un, là-bas. tu ne fais pas vraiment attention à son visage, de toute façon, il fait sombre et il est trop loin pour que tu le distingues clairement. tu te contentes de te précipiter dans sa direction, trébuchant au passage, te rattrapant à une branche pleine de sève (putain, ça colle cette saloperie), t'égratignant dans les buissons, jusqu'à ce que tu arrives à sa hauteur, complètement essoufflé, le regard éperdu, avec tes lunettes de travers sur le nez et une estafilade bien rouge sur la joue (tu as une sacré allure, ça, c'est sûr). c'est là que la réalisation te frappe.
tu le connais. il a changé - ça se voit qu'il ne mange pas à sa faim et tu aurais presque de la compassion pour lui si tu ne savais pas qu'il fait partie de ces gens-là - depuis votre rencontre sur ce maudit bateau, celui où t'aurais jamais dû poser le pied. mais c'est bien lui.
c'est gênant. affreusement gênant, même. seulement, tu es perdu, et c'est la première personne que tu croises depuis que tu erres seul entre les conifères. il est peut-être ta seule chance de sortir d'ici. alors tu mets de côté ta fierté et tu t'éclaircis la gorge.
tu esquisses un sourire un peu crispé. est-ce qu'il va accepter de t'aider ? t'en as aucune idée, mais putain, tu l'espères. tu ne te vois pas passer la nuit ici, dans le froid, sans rien à manger. non, c'est mort. tu dois absolument le convaincre de te montrer le chemin hors des bois. c'est ta seule option.