(agiadeïs) — how to forget

Il t'arrive encore de te réveiller la nuit, de sursauter à cause d'un bruit, d'un mouvement au-dehors où de Khaäl à côté de toi. Sept mois et... tu ne sais plus, tu ne comptes plus les jours, tu n'as pas écrit dans ton carnet hier, la veille si, tu crois te souvenir, tu n'es plus certaine et cela n'a pas la moindre importance. Plus de sept mois donc que tu n'as pas dormi accompagnée, sept mois durant lesquels tu n'as pas vraiment dormi sur tes deux oreilles. Tu le peux maintenant, tu le sais, mais certaines habitudes restent difficiles à oublier toi qui était une marmotte impossible à réveiller pourtant. Et c'est marrant, tu te rends compte que tu n'as jamais vraiment vu ta femme dormir. Alors oui, il t'arrive de te réveiller et de ne pas vouloir te rendormir, juste pour le plaisir de contempler ce visage qui t'a tant manqué à la lueur blafarde de la lune qui filtre à travers la toile de votre tente. Et c'est dur parfois le matin, mais quand tu ouvres les yeux il y a invariablement ce sourire qui fait naître le tien en écho. Et tout parait plus simple alors.

Les corvées quotidiennes semblent douces maintenant qu'elle est à tes côtés, les jours semblent tellement différent des précédents et tu ne vois pas vraiment passer le temps. Khaäl le voit elle, d'avantage que toi en tout cas, rester au campement ne lui semble pas suffisant. Tu aurais dû t'en douter et tu ne proteste guère lorsqu'elle vient te voir avec un irrésistible sourire en te proposant une balade. Le Grand Lac, voilà finalement où vous avez portés vos pas, tranquillement, paisiblement, tant que l'on peinerait presque à croire que cette île peut, comme toutes les autres de l'archipel, se montrer impitoyable. « Oui, plusieurs fois même. » Ton regard se pose sur Astrapi dont la relation avec Karon semble s'améliorer de jour en jour. Dire qu'ils sont les meilleurs amis du monde serait sans doute exagéré mais il te semble bien déceler un début de semblant d'amitié. « Dont une rencontre avec un babimanta qu'il vaut mieux ne pas mentionner devant Astrapi. » Tu l'avais dit suffisamment bas pour qu'il n'entende pas, ni tes mots, ni son nom. Tu aurais bien voulu oublier ce combat également mais comme pour te narguer il refusait jusqu'à présent de quitter ton esprit et s'imposait à toi chaque fois que tu revenais par ici. « N'est-ce pas... Un peu plus tôt, avec la brume encore sur le lac ça a quelque chose de magique. » Un lieu propice aux histoires et légendes à ton avis. Tu lui proposeras un réveil plus matinal un jour pour lui montrer ce que tu veux dire. Vous vivrez un coucher de soleil aussi, vous aviez toute la vie devant vous pour tout ça désormais.

Mais tes rêves de moments insolites se fanent finalement lorsque tu sens dans sa voix que le moment est venu. Sa question est sommaire et tu la laisses compléter, tu te laisses le temps aussi de faire venir les mots, de rassembler tes idées. Trop longtemps peut-être, et Khaäl reprend, venant déposer ses lèvres sur les tiennes avant de jouer avec tes cheveux et puis se lançant finalement.   « J'ai voyagé en voiture d'abord, isolée du conducteur derrière une vitre. On m'a amené en ville, près du port, j'ai rencontré quelques autres porteurs de pouvoirs d'Ellades là-bas, on y a passé deux nuits et puis on a prit le bateau qui nous a amené ici. » Tu débutais lentement, par le commencement, le tout début de cette aventure, un temps qui te semblait si loin désormais. Tu n'avais pas manqué d'entendre ce qu'elle t'avait dit également, ces informations sur son père dont tu mesurais l'importance. « Comment va-t-il ? » Non, ce n'était pas ce que tu voulais dire, c'était idiot un peu, c'était... tu savais qu'appeler son père n'était pas quelque chose qu'elle faisait tous les dimanches soir pour prendre et donner des nouvelles.

T'es heureuse de lui faire découvrir ta vie au campement Saphir depuis quatre jours qu'elle t'y a rejoint, depuis 4 jours que vos routes se sont croisées dans cette grotte, comme une évidence, comme une répétition de votre première rencontre. Ce sont quatre jours de pur bonheur qui se sont écoulés et aujourd'hui tu es heureuse de lui faire découvrir autre chose oui, parce qu'elle te l'a demandé et que si tu ne peux pas lui résister tu t'en veux peut-être aussi de ne pas l'avoir anticipé. Tu ne te flagelleras pas trop cependant, pas cette fois, et alors que vous arrivez à proximité du Grand Lac tu lui dévoiles quelques anecdotes sur ta vie ici. « Ne rigole pas s'il te plaît ! » Ton sourire est à la fois amusé et crispé. « Moi aussi ça m'a vexée. » Tu ne l'avouerais pas à grand monde mais à elle tu peux, elle doit sans douter dans tous les cas, c'est ta femme elle te connait, mieux que toi-même sans doute parfois. « Je te ferais remarqué que je n'ai pas fait de grasses-matinées depuis un bon moment ! » Elle te cherche et toi tu cours, tu le sais bien, tu agis comme ça pour le plaisir plus que parce qu'elle t'a réellement trouvé. De vous deux c'est toi la dormeuse, tu le sais, mais peut-être bien que la vie sous une tente aide à changer ce genre d'habitudes.

Le léger ne dure guère néanmoins, si vous êtes là c'est aussi pour parler, il y a ce Mamochon qui vous a accompagné et qu'il est plus que tant de réduire en Marcacrin. Et si tu sens que tu ne vas pas forcément tout aimer de ce que vous allez échanger tu sais aussi que vos silences respectifs ont assez duré. Et vous commencez par le début, par cette nuit où tout a basculé, par les jours qui ont suivi, le bateau qui t'a amené jusqu'ici. Vous commencez doucement ou en tout cas tu le penses, mais tu connais Khaäl mieux que ça au fond et il y a cette petite voix au fond de toi qui savait que le calme ne pourrait pas durer. « Ils nous ont donné des pokémons oui, sur l'île Cinabre, j'imagine que tu es arrivée là aussi. » Tu essayes de parler posément toi, de ne pas faire écho à l'émotion qui filtre dans la voix et les gestes de ta femme. Ça ressemble à bon nombre de discussions que vous avez eu peut-être même si tu sais que celle-ci sera probablement la plus compliquée à gérer. « Ils nous ont expliqué où on était, ce qu'était cet archipel, Prisme... ils nous ont parlé des dangers, ils nous ont parlé de la pension sur Orpiment, des campements qui s'étaient peu à peu formés un peu partout... et puis ils sont partis, ils ont refermé les portes et on a compris qu'on ne prendrait jamais le bateau dans l'autre sens. » Ta voix restait neutre, trop peut-être pour cette femme, ta femme, qui savait sans doute trop bien que tu ne disais pas tout, que tu ne parlais pas de leurs regards, du ton de leur voix, de cette tension et de cette peur qui emplissait l'atmosphère. Tes lèvres étaient pincées et tes yeux trahissaient bien plus que tes paroles tes émotions.

Mais elle avait parlé de son père et tu changeas de sujet un instant, ramenant la discussion à elle, tu n'étais pas la seule à avoir sept mois à raconter et même si elle t'en avait pour le moment dit peu tu mesurais ce qu'elle avait due faire pour venir jusqu'ici te chercher. « Non. » Tu hochas la tête, une certaine résolution encore au fond des yeux. « Surtout ne t'excuse pas. C'est déjà un miracle que tu sois là. » Ta voix se fit plus douce alors que ta main cherchait la sienne. Tu ne voulais pas qu'elle s'excuse de quoi que ce soit, elle t'avait suffisamment répétée déjà de ne pas être désolée, à toi cette fois de lui rendre la réplique.

Tu vois bien qu'elle essaye de ne pas éclater de rire, tu vois bien qu'elle se retient et que ça n'a rien de facile. Pour être honnête sur tes lèvres à toi aussi le sourire reste amusé, même si sur le moment tu n'en avais guère envie ça appartient au passé désormais. « Si seulement... » Tu hoches la tête, te rappelant parfaitement de ce qui avait suivi. « On y est retourné quelques temps après, mais pas de babimanta cette fois. A la place... non, je ne veux pas en parler. » Tu portes une main à ton front, tu dramatises bien trop la situation et finalement tu baisses la voix. « Un barloche... un horrible barloche... » Tu secoues tes mèches roses, te redressant finalement. « On est restés loin de l'eau suite à ça, mais qu'ils se méfient, dès qu'Astrapi maîtrisera Etincelle ils verront. » C'est un regain d'énergie et d'espoir que tu as là et tu ponctues ce mélodrame par un clin d’œil amusé avant de râler un peu sur les grasses matinées, levant finalement les yeux au ciel à la réponse de ta femme qui, comme à son habitude, faisait preuve d'une répartie certaine et gagnait forcément le dernier mot de cette conversation.

Tu aurais du rétorquer peut-être, car la bonne humeur est passée et la suite se fait bien moins agréable, les sourires complices se fanant sans attendre sur vos visages. Vous avez des choses à vous dire oui, trop de choses que vous repoussées depuis quatre jours maintenant tout en étant l'une et l'autre parfaitement conscientes qu'elles planent entre vous. Et c'est donc Khaäl qui prend les devants finalement, qui ouvre la porte, lève les vannes du barrage qui retenait ce flot de non-dits. Et c'est partit. Tu essayes de parler posément, d'exposer les faits sans y joindre trop d'émotions, parce qu'il est bien possible que toutes les plaies ne soient pas vraiment cicatrisées et que même si tu ne souhaites rien cacher à Khaäl tu ne veuilles pas non plus la voir partir en croisade pour quelque chose qu'elle ne pourra changer et qui appartient au passé. Alors tu hoches la tête à ses mots, et tu rebondis lorsqu'elle te parle de son père un peu, avant de la couper dans ses excuses. Brusquement, trop pour toi, signe que peut-être tu es bien plus fébrile que tu ne veux le montrer. « Pas si petit que ça. » Il y a un sourire doux qui passe un instant sur ton visage alors que tu lèves une main pour loger une mèche de cheveux derrière son oreille. Elle n'y restera pas, tu le sais bien, mais ça te fait du bien. « A moi aussi, tellement plus long qu'un milliers d'années à tes côtés. » C'est beau peut-être, surement, mais ça ne dure encore qu'un instant, parce que tout n'a pas été dit et que tant que c'est le cas peut-être bien que le reste ne peut pas vraiment fonctionner comme il se doit.

« ... » Il y a un soupir qui franchit tes lèvres et tes épaules s'affaissent un peu. Elle te connait trop bien et si c'est souvent pour le mieux, parfois... « Non Khaäl, bon sang, non ! Personne n'a levé la main sur moi. » Tu sais bien qu'elle ne veut que te protéger mais cette réaction, ses muscles qui se tendent, c'est exactement pour ça que tu ne voulais pas en dire trop, que tu préférais peut-être en garder encore un peu pour toi. « Promets-moi de ne pas t'énerver, de ne pas garder dans un coin de ta tête l'idée qu'un jour il faudra me venger. » Tu lui en demandes beaucoup tu le sais, tu n'es pas sure qu'elle soit capable de te promettre quelque chose comme ça et avant qu'elle ne réponde quoi que ce soit tu attrapes ses mains. « Je suis juste heureuse que tu m'ais retrouvée Khaäl, je veux plus penser au passé, je veux juste avancer avec toi. » Et tant pis si ça devait être ici, tant pis si tu préférais ta vie paisible en ville, c'est derrière toi désormais, tu as compris depuis plusieurs mois que tu pouvais tirer un trait sur ce que tu avais, tu ne l'avais pas fait parce que certaines personnes étaient impossible à oublier mais désormais ta femme était là et ça changeait absolument tout. « Personne ne m'a touché physiquement, ce que je ne t'ai pas dit ce sont les mots, ce sont les regards, l'impression d'être une bête de foire, un rebut de la société... Je n'avais peut-être pas une immense renommée mais... j'étais respectée, dans mon métier. Et aujourd'hui je ne suis plus qu'un... sujet, un danger, un animal enragé à éloigner du reste de la société. » C'était blessant, c'était éprouvant moralement, probablement bien plus marquant et bien plus long à cicatriser qu'une réelle blessure. Ou peut-être était-ce juste toi ? Tu ne savais pas, mais tes mains s'étaient posées sur tes bras finalement, les frottant légèrement.

L'ambiance est légère pour un temps, la discussion tourne autour de tes précédentes rencontres au bord de ce même lac, bien moins agréables que la journée d'aujourd'hui, jusqu'à un certain point tout au moins. Car les rires ne durent guère finalement et que le sujet qui planait entre vous depuis quatre jours est lâché. Cette fois il va vous falloir parler, raconter, expliquer, vous avez déjà assez retardé le moment de franchir le pas, difficile mais nécessaire pourtant. Et il y a bien quelques tentatives d'humour un peu au milieu mais ça ne prend pas vraiment, il y a trop à dire sans doute, trop de choses qui hantent vos pensées alors vous continuez. Et si tu demandes à Khaäl de ne pas s'énerver tu sais au fond de toi que c'est une promesse qu'elle ne peut pas vraiment te faire. C'était stupide peut-être, après coup il te semble que c'était peut-être les mots à ne justement pas dire tant les émotions qui passent dans son regard son facilement lisibles. Tes dents viennent pincer ta lèvre inférieur un peu alors que tu entends ce qu'elle te dit, tu le savais avant qu'elle le dise en vérité mais... c'est ainsi, tu la connais, et finalement après un soupir tu en dis d'avantage avant qu'elle ne te coupe brusquement, presque brutalement.

Le Non te fait relever les yeux, il y a de la surprise qui passe dans tes pupilles un peu voilées. Tu n'allais pas pleurer non, même s'il y avait de la douleur et de la tristesse au fond de tes yeux tu t'étais résolue il y a déjà bien des mots à ne pas les laisser avoir raison de toi, tu avais décidé de les tourner en résolution et en rancune, même si ce n'était pas le plus visible en cet instant probablement. Mais il y a des bras qui se referment autour de toi, des bras forts et cette odeur qui t'a tant manquée, un instant tu fermes les yeux, les rouvrant lorsque ta femme s'écarte un peu de toi, posant les mais sur tes joues avant de se mettre à parler, parler, parler. Et tu l'écoutes sans un mot, tes lèvres se redressant, finissant par former un mince sourire alors que les siennes viennent sans prévenir s'y accrocher. Et puis finalement il y a un soupir et un hochement de tête. « Wow. » C'est stupide mais tu ne sais pas quoi dire, c'est... tu ne t'attendais pas à ce flot de paroles de la part de Khaäl, tu ne savais pas vraiment à quoi tu t'attendais mais c'est... boostant ? Ça te fait du bien d'entendre tout ça en tout cas, peut-être que ça te fait prendre conscience de certaines choses qui t'avais déjà traversé l'esprit au cours des longs derniers mots sans jamais vraiment réussir à y rester ancré. Il y a eu de nombreux hauts et de nombreux bas durant sept mois, après un discours comme ça et parce que Khaäl est là tu comprends que désormais il y aura bien plus de hauts que de bas. « Un giga méga miracle. » Et c'est toi qui l'embrasse cette fois, un peu plus longtemps, un peu plus tendrement.

Elle a tellement parlé que tu n'as plus de moi, tu ne sais pas quoi répondre et s'il y a un sourire qui apparaît sur ton visage tu décides finalement que tes gestes en diront bien plus que n'importe quels mots que tu pourraient trouver. Alors tu reprends ses mots oui, tu parles de miracle et tu l'embrasses, sans lui laisser le temps de se vanter d'être elle. Elle a raison pourtant, elle pourrait se vanter, parce qu'elle est parfaite et que ta main monte jusqu'à son visage pour effleurer sa joue. Elle est là et elle est ton miracle oui, celle qui te fait te sentir entière et sans qui tu ne veux plus jamais avoir à envisager ta vie. Le baiser prend fin et sa tête se pose contre la tienne alors que ta main vient se perdre dans ses cheveux maintenant. « Je le ferais. » Tu hoches la tête, toujours en contact avec la sienne, tu n'as pas envie de vraiment bouger, pas envie de t'éloigner, tu as besoin de ce contact comme tu as besoin d'elle. « J'avais oublié ce que c'était de pouvoir se confier. » C'est d'une voix à peine plus forte qu'un murmure que tu prononces cet aveu, il n'y a jamais eu de secrets entre vous avant cet archipel, jamais de non-dits, vous saviez l'une et l'autre que vous pouviez parlé, sans craindre de ne jamais être jugées, seulement aimées et épaulées.

« Je n'en doutes pas un seul instant. » D'une certaine façon c'est ce que tu ne voulais pas et en même temps c'est ce que tu désires entendre. Parce que tu leur en veux oui, parce que tu es rancunière et que tu n'oublieras pas ceux qui t'ont séparé de Khaäl, ceux qui t'ont amené là, ceux qui te voient comme un sujet d'expérience, comme un férosinge que l'on met dans des situations pour l'observer depuis l'autre côté d'une vitre. Vous êtes tous des sujets ici, tu es sure qu'ils vous ont mis des numéros et tu sais que jamais tu ne pourras tout oublier, que jamais tu ne pourras pardonner la façon dont ils ont procédé. « N'y va juste pas sans moi. » Tu n'es pas pas violente mais il y a des combats que tu ne laisseras pas ta femme mener pour toi.

Un moment encore tu ne dis rien, tu profites de cette proximité, de ce silence, de cette paix retrouvée. Et puis tu relèves la tête finalement, croisant son regard avant de doucement passer ton pouce sur sa joue. « Et toi alors ? Ton père ? Est-ce que tu veux m'en parler ? J'imagines que venir chercher ta femme n'est pas la raison officielle à ta présence ici ? » Tu as beaucoup parlé de toi mais tu n'es pas la seule à avoir gardé des zones d'ombres des sept derniers mois jusque là et si tu ne veux pas la forcer il y a néanmoins des réponses que tu aimerais connaître, son histoire que tu aimerais entendre. Dans sa totalité, et tant pis si ça te fait encore d'avantage culpabiliser de tous les sacrifices qu'elle a fait pour venir te retrouver.